«Le vieux phonographe des années 50 a laissé échapper suffisamment de chansons pour inculquer à Laura la nostalgie d’une certaine musique. Elle reste attachée aux choses aimées de son enfance avant tout pour noyer les souvenirs les plus pénibles. Un jour de juillet, il y a bien longtemps, elle avait vidé le contenu de ses poches sur la table de la cuisine: une patte de grenouille, une dent d’écureuil, un os de la mâchoire d’un chat, une lancette de couleuvre. «Maman, ch’peux-tu faire une vente de débarras?» Avec son avant-bras, sa mère avait fait tomber son trésor dans son tablier relevé et avait jeté le tout à la poubelle. À dix ans, Laura acceptait trop facilement ce qui salissait les mains; adulte, elle se lave les mains de bien trop de choses. Elles sont trop aseptisées pour saisir la vie telle qu’elle est, avec tous ses organes. Mais elle n’a jamais peur de se salir les mains quand elle tâte les poitrines de ses amies. La tache sur le cœur des femmes est plus immaculée qu’une neige de janvier.»
Pierre Rousseau, Les mains ravisseuses, 2002.
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