lundi 9 février 2009

Aux yeux de la mort - Marie Toupin - 1

Au début de novembre, Marie Toupin, une voisine dont le mari était mort récemment, m’aborda dans la rue. C’était une femme mal nourrie, une plante rabougrie prise de consomption, car elle avait peu de santé. Elle avait eu huit enfants mort-nés et de nouveau embarrassée. Sous ses yeux, huit petits plis et un autre en formation. Une femme enceinte a toujours une allure de forçat. Son mari, joaillier, n’avait point été foutu de lui fabriquer une breloque. Elle me parla d’un oiseau d’argent qui l’avait suivi tous les jours pendant des semaines et maintenant mort. « Un oiseau ?» dis-je, avec l’air de lui démontrer sa folie, bien malgré moi, car je l'avais prise d'affection. «Point plus gros que l’ongle du petit doigt, avec de minuscules ailes qui battaient en silence, dit-elle. J’étais seule à le voir.» Je hochai la tête. «À la mort de mon mari, c’était comme si on m’avait enlevé une partie de ma tête», ajouta-t-elle. «Se retrouver seule…» dis-je. «Ce n’était point le fait d’être seule qui m’angoissait, mais celui de n’être plus deux, m’avoua-t-elle. L’oiseau me réconfortait. Il n’existait que pour moi. Comme une gentillesse.» Elle passait sa main sur sa joue, puis sur son ventre. Pour sûr, les gens avaient dû s'étonner de ses yeux qui virevoltaient, ce qui est signe de folie, je pense. «Puis un jour, il n’est point venu, dit-elle encore. Ni les jours qui suivirent. Hier, une mésange a frappé durement la vitre qui donne sur le cap et s’est tué. Je l’ai fait frire et je l’ai mangé.»


Pierre Rousseau, extrait de L’œil du métis, 1997, roman.

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