dimanche 18 janvier 2009

Des troubles - Le jeu de l'aiguille

Aurélyen, dix ans, se tourne vers tout ce qui le prépare à cette nuit perpétuelle où il s’en va. Au contraire des végétaux qui s’orientent vers la lumière, lui se tourne vers les coins sombres. Cet état est propice à son étiolement physique. Le garçon est maigre, squelettique, aride et médiocre. De jour en jour, son corps devient un contraste entre l’ombre et la lumière. Cette transition ne sera pas une entrée dans les ténèbres, simplement une intrusion dans une absence de clarté, voire une intrusion dans le néant. « Héméralopie », a dit le docteur.

Aurélyen affirme que son corps deviendra de plus en plus translucide, que la lumière fusera de l’intérieur de lui-même pour éclairer le monde, qu’il verra bientôt avec mille yeux.
Parfois, afin de lui montrer la maîtrise qu’il a de ses yeux, Aurélyen joue devant sa petite soeur Sydonie au «jeu de l’aiguille». Il avance l’aiguille vers son œil, lentement, très lentement, jusqu’à toucher son iris, jusqu’à sentir la minuscule douleur qui fige son bras. Et sans cligner de lœil. Il y parvient aussi du bras droit, quoiqu’il y mette deux fois plus de temps, car il est gaucher. Au moindre sursaut, il percerait son œil, ce qui ne ferait qu’avancer le jour où il ne verra plus du tout.


Pierre Rousseau, extrait de Jaculari, 1994.
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