lundi 31 décembre 2007

La littérature - Jean Santeuil

«Le seul véritable voyage, le seul bain de Jouvence, ce ne serait pas d’aller vers de nouveaux paysages, mais d’avoir d’autres yeux, de voir l’univers avec les yeux d’un autre, de cent autres, de voir les cent univers que chacun d’eux voit, que chacun d’eux est.»

Marcel Proust, La prisonnière.

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dimanche 30 décembre 2007

samedi 29 décembre 2007

Atypique - Par tes ouvertures...

En 1966, j’écoutais pour la première fois la chanson « Avec les vieux mots », de Gilles Vigneault. Des vers disaient: «Par vice ou vertu, rien ne pas déçu»; mais moi, pauvre d’oreilles, j’entendais: «Par tes ouvertures, rien ne m’a déçu». Cette formulation m’étonna grandement. Que voulait-elle dire? Adolescent, je pensai forcément au sexe, surtout qu’un peu plus loin, il parlait d’une jeune fille. Gilles Vigneault évoquait-il les orifices du corps, d’éventuels rapports sexuels…


Cette idée me hanta (mais pas trop, quand même) longtemps. Jusqu’au jour où j’entrepris une recherche sur le thème des «ouvertures» dans l’œuvre de Gilles Vigneault: fenêtre, porte, trou, hublot, etc., (et bien sûr celles du corps), afin d’en découvrir la symbolique. C’est alors que je lus les fameux vers dans le texte… et que tout s’écroula, si je puis dire.


La recherche étant passablement avancée, je décidai de faire une «Table alphabétique et exhaustive pour fins de recherches et d’analyses des mots contenus dans l’ensemble des oeuvres de Gilles Vigneault avec indication des titres et des pages où ils se trouvent». Plus de 66 000 entrées, sur un Commodore 64 (cest-à-dire 64k... de mémoire vive), avec des disquettes 5¼ pouces. Un travail de moine. Quelques exemplaires vendus à des universités. Puis, finalement, publication de Les mots pour l’écrire. Ce qui me permit quelques brèves rencontres avec Gilles Vigneault…


Mais cette obsession des «ouvertures» ne s’arrêta pas là. En effet, des années plus tard, j’entrepris une recherche d’envergure sur les orifices du corps dans les arts et la littérature (plus de 1000 citations, des centaines d’auteurs, 90 planches d’œuvres d’art, etc.) Œuvre inédite jusqu’à ce jour («trop gros», disent les éditeurs), sauf un extrait quand Yvon Boucher, alors directeur littéraire chez Guérin éditeur, insista pour publier un chapitre (de son choix): L’urètre, dans «Les Saisons littéraires» (Guérin, 1996).


Bref, Gilles Vigneault a influencé ma vie bien plus qu’il ne peut l’imaginer. Et je l’en remercie.
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vendredi 28 décembre 2007

Poésie - Sevrage

À découvert dans la nuit,
Le bonheur repousse,
À coup de plume,
L’enclume du temps.


Les fines feuilles
Issues du bois rouge
Encore juteux de sève
Pèsent sur le marbre des stèles
Dressées comme des messages.


Les amants déchus rêvent
D’écrire sur l’eau limpide
Des yeux flammes.


L’espoir hiberne
Sous les jupes retroussées.


Les vêtements sentent bon
Le lilas et la douceur.


Les grands voyages sont à venir.


Pierre Rousseau, Sur le dos de la nuit, 2005.
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dimanche 23 décembre 2007

Témoin oculaire

L'itinérant urine dans une bouteille de Coke.
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samedi 22 décembre 2007

Poésie - Dans la chair de l’espace

Nos mains d’itinérants
.........
Frisent la folie,
Des plaies se détachent
.........
Au fond de nos yeux.


Qu’avons-nous vu
.........
De si effrayant
.........
De si inhumain
Pour ne pas toucher,
.........
De nos poings levés,
Les étoiles iris
En elles-mêmes
.........
.........effondrées
Dans la chair de l’espace.


La ville roucoule
Et
.........
Croule sous la nuit
.........
Mille fois délavée
À même les dénis de justice.


Les miroirs s’enfoncent,
Lentement,
Dans nos blessures entrouvertes.


Nous irons,
.........
Demain,
.........
Peut-être,
Embrasser l’infortune
Sur les pâles esquisses
Des sourires à renaître.



Pierre Rousseau, Sur le dos de la nuit, 2005.
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jeudi 20 décembre 2007

Vision - Flash d’héroïne

En passant devant le magasin HMV (Place Versailles), je fus étonné par le gigantisme d’une affiche de Céline Dion dans la vitrine (pochette de son dernier CD Taking Chances). Plus grande que nature. Mais c’est surtout le visage de la chanteuse qui m’a surpris : j’y voyais une image de mort. Masque figé. Regard noir. Avec une tête de Méduse, la seule des trois Gorgones à être mortelle.

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mercredi 19 décembre 2007

Histoire de voir - La colère de Dieu

En ce mois de septembre, les boules de feu d’une grandeur assez considérable et de couleur rouge foncé, allant vers l’ouest, et qui déclinèrent vers la terre avant de disparaître à l’horizon, furent un funeste présage. Il était difficile d’assister, impuissant, à la mort envahissante et sournoise qui semait l’effroi dans les rues de la ville*. Des crieurs apostrophaient les citoyens sur les places publiques : « C’est le pénible devoir du Bureau de Santé d’annoncer au public l’apparition du Choléra Asiatique, en cette cité et les environs... »

LA COLÈRE DE DIEU

Ce choléra se répandit avec rapidité dans tous les quartiers, atteignant même les hommes les plus robustes. Après les spasmes et les crampes qui les convulsaient, les gens mouraient dans des souffrances extrêmes. Les corps n’étaient point gardés plus d’une nuit. Il n’y avait point d’offices religieux, mais parfois une cérémonie réduite. Les menuisiers ne fournissaient point à fabriquer les cercueils en bois brut. Les charrettes découvertes qui laissaient à la vue de tous les corps emmêlés passaient dans la ville, cueillaient les morts, transportaient les étrangers dans les tranchées communes et les citadins dans les cimetières de leur paroisse, si cela était possible. Mais les victimes étaient surtout enterrées sur le chemin Saint-Louis, au grand cimetière des cholériques. Il y eut même plusieurs décès parmi les insensés à l’Hôpital général tenu par les dames religieuses et situé à l’extrémité du faubourg Saint-Roch, tout près de chez moi.

Les Irlandais, toujours en dispute avec les Canadiens français, ne voulaient point être enterrés avec eux. Il fut donc décidé qu’ils seraient placés en avant et les Canadiens français en arrière…

* Québec


Pierre Rousseau, L’œil du métis, 1997.
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mardi 18 décembre 2007

Témoin oculaire

La policière a échappé son gant gauche.
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dimanche 16 décembre 2007

Poésie - Tendre comme une aiguille

Nous glissons nos bras
Dans l’encoignure du temps,
Nous hérissons,
Pulpes de spasmes,
Les filtres d’amour libre,

....Légers,

....Aériens,
Entre les pans de brume
Accrochés aux lucarnes.

Nous prolongeons la nuit
....Par ses mille bras,
Et refaisons,
Encore une fois,
Les mêmes parcours vagabonds.


Nous attendons
....Patiemment
Que le matin dévoile
....Les paysages flous
....Des parcs à languir.

À l’aube orangé,
Nous passons une éponge
....Imbibée d’acide
Sur la dernière toile du Maître.

Toute la journée,
Nous tirons
....La chasse d’eau vive
....Sur le dos des quand dira-t-on,
Et donnons volontiers
....Toute notre âme
Pour un croûton de tendresse.

Toujours le flou pique
..............................nos yeux.

Nous aimons la vie
....Sur un fil
Tendre comme une aiguille.


Pierre Rousseau, Sur le dos de la nuit, 2005.
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samedi 15 décembre 2007

Regard sur l’enfance - Victoria

En ouvrant La Presse (jeudi, 13 décembre 2007), j’ai été fasciné par le sourire de cette fillette, un sourire que l’on peut qualifier d’épanoui. Victoria, c’est son prénom, apparaît aussi en arrière-plan à la une, belle et pensive.


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vendredi 14 décembre 2007

Lacrymatoire - Mes larmes d'Isabelle

J’aime la musique country-western. De mon enfance… Paul Brunelle, Marcel Martel, Hank Snow, Wilfrid Carter, Johnny Cash… Pas un amateur pur et dur, plutôt un récidiviste sporadique… même après avoir écouté Kiri Te Kanawa. Et voilà qu’arrive Isabelle Boulay. Différente. Qui me convainc que le country c’est toujours beau et bon.
J’écoute «De retour à la source». Une chanson m’émeut : «Tant que l’amour existera» (de Zachary Richard). Le belle voix d’Isabelle, un peu rauque, vibrante… guitare glissée… des mots, des images, l’émotion…
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mercredi 12 décembre 2007

Vision - Délation et rigolade

Big Brother (du roman 1984, de George Orwell, publié en 1949) est devenu la représentation de l’État policier et de la perte des droits individuels de la population.


L’expression «Big brother is watching you» (Grand Frère vous regarde) dénonce l’omniprésence des vidéos surveillance ou le voyeurisme, entre autres. Elle est illustrée de façon humoristique (sic) par cette publicité d’IBM.



Mais, au-delà de cette menace en existe une autre encore plus terrible : la surveillance du Voisin. En effet, avec l’arrivée des caméras numériques compactes et, plus encore, des téléphones avec appareil photo doublé d’Internet, tout individu se trouvant dans un endroit public - et même dans sa propre cour - peut, à la suite d’une gaffe, d’un accident, d’un geste déplacé, se retrouver sur le Net et, ainsi, être «connu» par de millions de gens à travers le monde ou, pis encore, «reconnu» par ses proches. Plus personne n’est à l’abri d’être un jour «coincé». Appareil photo à la main, tout un chacun surveille l’autre, attendant le scoop. À n’en pas douter, ce phénomène ira en s’accentuant.


Désormais, la crainte d’être pris sur le fait ne viendra pas de l’État, mais du voisin, de l’ami, du parent, de l’inconnu. Il nous faut maintenant surveiller nos faits et gestes, car on n’a plus aucun contrôle sur notre image… négative.


Délation (par intérêt méprisable) et rigolade (amusement et partie de plaisir) vont maintenant de pair.
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mardi 11 décembre 2007

Témoin oculaire

Le donneur de sang a mangé six biscuits.
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lundi 10 décembre 2007

Poésie - Dormir cul à cul

Dormir cul à cul, comme des siamois
Dans des draps blancs comme limbes
Tourner le dos à la misère de l'autre
Désirs noirs comme gorges de goélands
Immenses naufrages, pour longtemps empalé
Dans le dénouement de mes rêves mal foutus.


Dormir cul à cul, dans les troubles de mon corps
Énurésie tardive, maladie bénigne sur verge
Glaïeul sanguinaire, tout croche de tige
Tache rouge sur le damier de ma vie trop rigide
Folie, zigzag, quelques fois adroite démence
Aux chimères sans issues palpitantes, trop tard.


Dormir cul à cul, toi et moi voyageurs déphasés
À gauche de nos arrières, à droite de nos devants
Dans nos vies sans bas, ni hauts, stagnantes
Rêver de neige et d'abysses et perdre du sang
Comme toi la femme, maternelle doléance
Qui enfante mille fois l'espoir avorté.


Dormir cul à cul, yeux grands ouverts sur la nuit
Rater l'arrivée avant d'être partis
Fabriquer des œufs qui ne servent à rien
Fertilité saignante, passage à vide
Distiller la matière vivante, substance sacrée
Dans l'écartement rituel des inexistants.


Dormir cul à cul, toucher ton reflet
Dans la brillance des pierres des canaux
Joyaux sans teintes ni couleurs qui tanguent
Me trémousser à contre-courant du pressentiment
Puis pisser des chimères et autres mirages
Avant de dormir sous le couvert de la ruine.


Dormir cul à cul, m'appuyer sur tes assises molles
De la vie qui bat la sève ruisselante hors vaisseau
Chercher raisons et explications du manque
Huer les philosophes charcutiers de bon sens
Faire des reproches, mettre ton cœur en lamelles
Sans m'en rendre compte, pourtant génie natal.


Dormir cul à cul, oublier l'être ressemblant
Toi femme incorporelle qui ferme enfin paupières
Opaques portails, sans lucrative approche
Déchiffrer la manie de mon mal à persister
Pour faire souffrir l'innocente victime, proie sacrifiée
...
Tu sais, le Soleil se couche
...................................aussi
.........................................sur les abstractions.


Pierre Rousseau, 7 poèmes, «Les Saisons Littéraires», Guérin Éditeur, Semestre printemps/été 2000.
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samedi 8 décembre 2007

Clin d’œil - Le doigt d’honneur

Le doigt d’honneur (ou finger) fait partie de nos mœurs depuis des milliers d’années. Et d’aucun (ou d’aucune) qui le reçoit se crispe et se sent outragé(e).


Que dire alors de l’expression «Se mettre le doigt dans l’œil» – parfois jusqu’au coude, et à laquelle personne ne réagit… ou presque. Ne s’agit-il pas de «fisting» ou «fist-fucking»? Car l’œil dont on parle ici est «l’œil de bronze», communément appelé anus. Qu’on se le dise…


Et les obsédés du fion peuvent, quand ils le désirent, imaginer «l’immense anus céleste» de Lautréamont… ou, plus tendrement, tel Verlaine, un anus «obscur et froncé comme un oeillet violet».
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vendredi 7 décembre 2007

Témoin oculaire

Le chat est mort la queue raide.
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jeudi 6 décembre 2007

Atypique - Clœil


La femme, fine feuille et oreille fine, blanche unité de corps et d’esprit, est partie, portée ailleurs d’ici. Finie la rengaine, finies les fausses notes. Adieux misogynes et autres politesses rondes. Voilà les intervalles fins, secondes plus que jours, voilà la mesure impaire à sept temps, pour l’homme laissé vacant.


La femme va aux chants, musique au nombril, sans éthique, ventre allant tambour battant, renonce à la partition, aux rayures stridentes, tourne la clef, fait scission et partage, bat la mesure à vif, joue faux, pour l’homme à l’œil incompris.


La femme cueille morceaux et fragments, pour changer d’air qu’elle dit. Puis orchestre en clair, net fado et mélopée, devient chanteuse aléatoire sur les pistes sans contredit. L’or se gonfle sous sa poitrine. Les attendrissements pernicieux brillent pour l’homme échafaudant l'avenir à même les refrains de l’amante.


La femme prend un temps mort, une pause silence, maintient de secrètes réticences, bat la mesure des gestes perdus, stagne d’épuisement poétique, tourmente la langueur, s’ancre sur le sol, retient la sonorité des mots, couchée sur le dos, sans contre-ut, épave intacte sur une portée déserte.


Pierre Rousseau, Fouilles, 2000.
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Coup d’œil sur l’actualité - Décrochage

Père Lachaise, Paris 1973
Cimetière du Père-Lachaise, Paris
Photo: Pierre Rousseau
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mercredi 5 décembre 2007

Atypique - Vous avez dit... aphorismes

Certain(e)s auteur(e)s pondent des aphorismes comme les mouches. Celui-ci me disait, tout fier: «J’en ai écrit des milliers et publié presque autant». Mais tous ces auteur(e)s d'aphorismes ne sont pas Cioran. Ces phrases brèves sont en général banales, sentencieuses, voire prétentieuses, et s’avèrent souvent être de simples jeux de mots.


J’ai, un jour, succombé à la tentation d’aphoriser. Quelques centaines et presque autant publiés («Les saisons littéraires», semestre automne-hiver 1998-1999, Guérin éditeur ; extrait de Hominidées, etc.) Ces brèves maximes ou sentences sont relativement faciles à trouver. En ce qui me concerne, un aphorismes sur cinquante, peut-être, a une certaine valeur. Avant tout personnelle. Comme les minéraux que je cueille lors de mes prospections : finalement, très peu seront dignes de figurer dans ma collection.


Mais il est un aphorisme dont je suis fier. Il y a quelques années, j’ai reçu un courriel d’une jeune fille dans lequel elle me remerciait d’avoir… sauvé la vie d’une amie. Elle me racontait qu’après avoir lu un de mes aphorismes (sur Internet), soudainement inquiète, elle était retournée voir une amie qu’elle avait peu à peu délaissée à cause de sa grande tristesse. Et qu’elle l’avait probablement empêché de se donner la mort, de se suicider. L’aphorisme dont il est question ici est : «La tristesse est la pointe de la détresse». «C’est une phrase somme toute banale, mais qui montre une réalité à laquelle on ne pense jamais», écrivait ma correspondante.



En pondant cet aphorisme, j’imaginais un iceberg dont seule une petite partie dépassait ; mais, dessous, bien cachée, une énorme détresse, telle une gueule immense. J’ai alors été frappé à la fois par son évidence et… sa profondeur.


Comme l’écrivait Cioran dans Syllogismes de l’amertume: «Ne cultivent l’aphorisme que ceux qui ont connu la peur au milieu des mots, cette peur de crouler avec tous les motsJe vois maintenant les aphorismes... d'un autre oeil.

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